Le tourisme régénératif, un nouveau regard en temps d’incertitude
Lors de son intervention magistrale durant l’ouverture du 1er “Congrès de Tourisme Régénératif, la nouvelle initiative du changement” le 2 décembre 2020, le chilien Martin Araneda, Co-fondateur de l’Initiative Globale du Tourisme Régénératif, a invité son public à renouveler son regard sur le monde du tourisme et des voyages. “Notre destination n’est jamais un lieu, mais une façon de voir le monde” a-t-il commencé, citant l’écrivain Henri Miller. Dans son intéressant discours, il nous livre une réflexion passionnante pour nous faire comprendre l’urgence d’une transition vers le tourisme régénératif.
La grande majorité des destinations dans le monde ont été restreintes en raison du Covid 19 et l’incertitude est devenue la nouvelle réalité du secteur. Le moment était venu de nous demander: que pouvons-nous laisser derrière nous? Que veut-on absolument garder? Comment ne pas tomber dans la répétition des erreurs que nous faisions dans le tourisme? Nous devons être conscients que nous sommes au milieu d’une crise environnementale planétaire majeure avec perte de biodiversité, extinction massive d’espèces, dégradation des sols par l’agriculture intensive et pollution des mers par les plastiques, entre autres facteurs.
C’est à partir de l’époque de la révolution industrielle que la population humaine a commencé à croître de façon exponentielle, nécessitant une utilisation de plus en plus extensive des terres à des fins agricoles et émettant des émissions croissantes de CO2 provenant de méthodes de production basées sur des combustibles fossiles, créant par conséquent les bases du réchauffement climatique.
“On ne peut grandir à l’infini sur une planète finie”, a-t-il déclaré, puisque nous jouons avec les limites des ressources naturelles et pour cette raison nous devons nous interroger sur nos modes de vie et de consommation. Aujourd’hui, l’humanité occupe l’équivalent de 1,7 planètes par an, ce qui signifie que nous consommons plus de ressources que la planète ne peut les régénérer dans ce même laps de temps. Si nous consommions tous comme les habitants des États-Unis, nous aurions actullement besoin de cinq planètes.
Nous sommes rentrés dans l’ère de l’Anthropocène, un terme qui désigne le moment où les activités humaines ont commencé à provoquer de grands changements biologiques et géophysiques à l’échelle mondiale. Il est donc urgent de faire évoluer l’être humain égocentrique vers un être plus éco-systémique qui doit contribuer à une plus grande collaboration entre les espèces.
L’être humain a été souvent réduit à une fonction économique centrée sur la performance matérielle où l’on observe comment la société de compétition considère la nature comme une ressource à exploiter de manière illimitée. Martin est convaincu que le concept de développement durable est arrivé à ses limites, soulignant qu’après 27 ans du rapport Brundtland dans sa tentative de mise en œuvre, de tous les sommets internationaux sur le développement durable et le changement climatique, presque aucun indicateur ne nous montre de réels progrès significatifs pour les grands défis de réduction d’émission de CO2, de changements dans l’exploitation agricole des terres, de perte de biodiversité et d’eau douce, entre autres. Il nous faut donc porter un nouveau regard. Quelle est l’opportunité du moment? Rappelons-nous les images de la pandémie lorsque la nature et les animaux ont commencé à réapparaître dans les villes.
Dans les années 70, le chimiste James Lovelock émit l’hypothèse que la Terre reflétait un comportement similaire à celui d’un être vivant : elle s’autorégule pour maintenir des conditions favorables à la vie, connue sous le nom d’hypothèse Gaïa. “La Terre est un être vivant. Dans tout être vivant, chacune de ses cellules, tissus et systèmes sont également importants et nécessaires à l’existence de cet être. De la même manière, chacune des espèces qui peuplent la planète Terre sont unies par des liens forts et nous sommes essentiels pour Gaïa “. Martin cite Allan Kaplan pour souligner que “le plus grand changement que nous voulons voir dans le monde est la façon dont nous voyons le monde”. La vérité est multiple, tout comme la perception que nous avons du monde. Nous devons passer d’une vision extractiviste de la nature à une vision contemplatrice d’un organisme vivant avec de nombreuses interactions. Il faut arrêter de voir le monde d’un seul regard réducteur et fragmenté, avec une pensée linéaire, pour le voir plutôt comme un organisme vivant avec un nouveau regard holistique.
Aujourd’hui, les pratiques conventionnelles du tourisme durable ne suffisent plus. Le concept de durabilité travaille sur trois axes de développement: environnemental, économique et social. Bien que la proposition du développement durable ait réussi à faire entrer en discussion les questions environnementales et sociales, ces domaines sont loin de trouver un équilibre avec une économie qui fonde sa logique sur une croissance constante et infinie.
L’enjeu, selon le visionnaire chilien du tourisme régénératif, est de passer d’une vision fragmentée et mécaniste à une vision régénératrice basée sur la triple relation : l’être humain avec lui-même, avec la nature et avec les autres pour favoriser une transformation significative du voyageur. Le changement de vision n’est pas lié à l’ajout ou à la soustraction d’éléments conceptuels de la durabilité, mais plutôt à une transformation profonde en termes de perception et de compréhension des organismes vivants et du monde qui nous entoure, et de nos façons de nous rapporter au grand tout.
En ce sens, l’annonce de la Décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes 2021–2030 qui vise à encourager la restauration à grande échelle des écosystèmes dégradés et détruits, comme une mesure efficace pour lutter contre le changement climatique et améliorer la sécurité alimentaire, l’approvisionnement en eau et la biodiversité, peut favoriser un changement de mentalité pour conduire un mouvement global de régénération en faveur d’un rééquilibrage des relations entre la planète terre et ses habitants.
Cependant, cet aspect de la régénération des écosystèmes ne représente qu’un des nombreux éléments qui doivent être pris en compte dans un processus d’application globale des principes du tourisme régénératif à une destination, comme le montre le schéma ci-dessous.
Dans le but d’offrir cette nouvelle vision sur le tourisme, l’Initiative Globale de Tourisme Régénératif (connue sous son acronyme IGTR) a été fondée en tant que mouvement international ibéro-américain qui rassemble une communauté de professionnels du secteur touristique déterminés à activer leur créativité, collaboration et intelligence collective pour faciliter la diffusion des principes du tourisme régénératif au travers de webinaires, cours en ligne, ateliers de formation, conférences, articles de réflexion et coaching. L’IGTR est animé par des agents du changement qui co-créent une nouvelle perspective et compréhension du phénomène touristique pour innover dans le développement d‘une nouvelle vision du tourisme qui va au-delà de la durabilité.
Professeur, Formateur, Entrepreneur et Conférencier international spécialiste du Tourisme Régénératif, membre de la IGTR (Initiativa Global del Turismo Regenerativo) et du GSTC (Global Sustainable Tourism Council).